Laide économique a fait partie, de tout temps, des relations entre pays.
Elle a pris une intensité et une ampleur nouvelles après la Seconde Guerre mondiale, lorsque linégalité
des niveaux de développement entre les pays est apparue comme pouvant compromettre la paix et après
que laccès à lindépendance eut donné une existence politique à des pays dont
la situation économique était extrêmement précaire. Après la chute du Mur de
Berlin, la disparition de la rivalité Est-Ouest a enlevé à laide économique un de
ses fondements politiques, mais les besoins des nouveaux pays indépendants et la crainte que la déliquescence
de lÉtat dans certains pays nentraîne des troubles contagieux lui ont donné de nouvelles
orientations, en même temps que le "triomphe" de léconomie de marché en transformait
le contenu. Ainsi laide est-elle censée servir à la fois les intérêts des pays qui
la reçoivent, en contribuant à leur développement, et les intérêts commerciaux,
politiques et militaires des pays qui lattribuent, cest-à-dire pour lessentiel les pays industrialisés.
Aussi sattachera-t-on à lanalyse de lobjet de laide avant de proposer une description détaillée
de ses modalités, de ses acteurs et de son évolution.
Contribuer au développement économique du Tiers Monde, tel est lobjet premier de laide. Il apparaît demblée, à partir de cette seule affirmation, que laide devra présenter de multiples modalités de nature fort différente pour répondre aux besoins de pays qui se trouvent dans des situations très diverses, et, plus fondamentalement, quelle devrait dépendre de lanalyse que lon fait des causes du sous-développement.
Pour certains, le sous-développement sanalyse comme un retard sur un chemin obligé (Rostow). Laide doit alors viser à réduire ce retard en permettant une croissance rapide. Il sagit de lever les obstacles, ou goulets détranglement, qui sy opposent. Faute dépargne suffisante, le pays ne peut investir: laide prendra donc la forme dapport de capitaux. La recherche est-elle insuffisante? les technologies élaborées dans les pays industrialisés seront mises à la disposition du Tiers Monde. Un pays manque-t-il de techniciens nécessaires pour former les jeunes, pour moderniser lagriculture, faire tourner les usines ou gérer lÉtat? laide consistera en lenvoi de techniciens compétents. Si laide est efficace, le pays pourra, au bout dun certain temps, se passer des apports extérieurs gratuits ou fournis à des conditions de faveur; il produira alors lui-même ses équipements et formera ses techniciens ou bien il acquerra, aux prix du marché, les biens et les techniques dont il a besoin. On dit dune économie qui est capable dentretenir par elle-même son développement quelle a "décollé". Laide devient alors sans objet: sa réussite est de devenir inutile.
Mais dautres auteurs considèrent que le sous-développement est le produit du fonctionnement du système économique mondial: les plus riches tirent leur richesse de lappauvrissement des plus pauvres, et, par conséquent, sans remise en cause du système lui-même, il nest pas de possibilité de développement. Sous cette forme simplifiée, lanalyse est trop radicale et se trouve largement contredite par les faits: en termes réels, le revenu par tête a augmenté depuis les années soixante dans lensemble des pays du monde; lécart, en termes relatifs, sest légèrement réduit entre pays industrialisés et pays en développement, même si lécart absolu continue de saggraver; enfin certains pays, comptant parmi les plus pauvres il y a trente ans, sont aujourdhui considérés comme des "nouveaux pays industrialisés". Cependant, lidée que le système économique mondial est en partie responsable du sous-développement contient une part de vérité qui a été reconnue dans les résolutions des Nations unies et dans la pratique au cours des années soixante-dix. La résolution des Nations unies sur le nouvel ordre économique international (Assemblée générale de 1974) en fut la manifestation la plus spectaculaire; linstauration du système de préférences, généralisé par les pays européens en 1971 puis par les États-Unis en 1976 système qui abolit les droits de douane sur les produits manufacturés dans le Tiers Monde à lentrée dans les pays industrialisés et qui, en ne demandant pas la réciprocité pour les exportations de ces pays à lentrée dans les pays en développement, déroge à une règle fondamentale du G.A.T.T. (General Agreement on Tariffs and Trade) , en fut la manifestation la plus concrète. Dans les années quatre-vingt se sont émoussées et la notion de solidarité vis-à-vis du Tiers Monde et la crainte née du temporaire pouvoir de lO.P.E.P.: laccent a été mis sur la responsabilité de chaque pays dans la réussite ou non de son développement. Limportance de la bonne gestion des affaires publiques, sujet tabou dans les années 1960 et 1970, prend progressivement une place importante dans les recommandations que font les donneurs et dans les conditions quils mettent à loctroi dune aide. La mise en place de mécanismes de contrôle de gestion, la décentralisation des décisions, la démocratisation et la responsabilité des détenteurs de pouvoir devant leurs mandants sont encouragées en même temps que se multiplient les réflexions sur le rôle de lÉtat. Dans les années 1960, il était jugé normal que lÉtat intervienne directement dans la production en utilisant les instruments en sa possession (subventions, prêts bonifiés, exemptions fiscales...) de façon sélective selon les secteurs ou les entreprises, ou quil soit lui-même producteur. Lexcès dinterventions et des abus ont amené une phase de dérégulation et la recherche de "moins dÉtat". Aujourdhui, il lui est reconnu le rôle de créer un environnement favorable à lactivité des entreprises en mettant en place des institutions compatibles avec les règles du marché, en édictant et en faisant respecter des règles transparentes et stables, en assurant éducation, formation continue et système de santé. Après que le "trop dÉtat" a été un frein à des initiatives décentralisées ou privées, ce sont actuellement les processus de déliquescence de lÉtat qui menacent la paix sociale et lactivité économique, lÉtat devant fondamentalement être le garant des libertés. Cependant, laide demeure et, lorsquon parle daide économique, on se place toujours dans la première optique qui consiste à transférer vers les pays en développement certaines ressources qui leur font défaut et non dans celle qui consisterait à modifier des règles du jeu international qui seraient jugées mauvaises.
Quels avantages les pays fournisseurs daide attendent-ils en retour de leffort financier et humain quils consentent? Les débats sur ce thème furent nombreux aux États-Unis comme dans les pays européens, dans la mesure où les gouvernements ont périodiquement ressenti la nécessité de justifier, vis-à-vis des contribuables, leur politique daide. Avant de mettre en avant certaines de ces justifications, il convient de dire que des raisons purement éthiques sont à lorigine dune partie de laide: les aides durgence en vivres, vêtements et médicaments dans le cas dune catastrophe naturelle ou dune guerre en sont un exemple. Plus généralement, la conscience dêtre solidaires, aujourdhui et face à lavenir, le refus de certaines inégalités ou de certaines misères font partie des raisons objectives de laide. Cela dit, historiquement, laide économique au développement a pris son essor à lEst comme à lOuest dans le cadre de la compétition Est-Ouest. Le président Truman, craignant que les peuples pauvres ne soient prêts à rompre la paix du monde et ne soient sensibles à la propagande soviétique, décida le premier programme daide américain et en fit lannonce.
En retour, lU.R.S.S., qui refusait toute responsabilité dans la situation de sous-développement dune partie de la planète, puisquelle en voyait la cause dans le fonctionnement du système capitaliste lui-même, se vit obligée de dépasser le soutien politique aux mouvements dindépendance et de montrer, à travers certains projets de coopération, son efficacité et sa solidarité avec les jeunes États. Certains pays surent tirer parti de cette compétition: des aciéries indiennes et le barrage dAssouan en sont des exemples parmi les plus caractéristiques. Pendant la période où les votes à lO.N.U. ne rassemblaient pas des majorités automatiques et où lon navait pas encore inventé ladoption des résolutions par consensus, laide était censée inciter les bénéficiaires à voter avec les donneurs, ou à tout le moins à ne pas les condamner. Il est certain que la France, pendant la guerre dAlgérie, a bénéficié de tels votes de la part de ses anciennes colonies. Ce processus a cessé de jouer, chacun ayant pris son parti de la critique à New York et de la négociation à Washington, ainsi que de laffaiblissement de lO.N.U. dans le secteur économique au profit de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. La crainte que le sous-développement économique soit cause de tensions internes qui puissent entraîner des gouvernements en quête de légitimité dans des conflits avec leur voisin est un des motifs qui se trouve à lorigine de laide. Il est vrai que depuis la Seconde Guerre mondiale, quelque deux cents conflits entre nations se sont presque exclusivement déroulés dans le Tiers Monde et nont mis aux prises directement que des pays en développement, sauf quelques exceptions comme la guerre de Corée ou des Malouines. Mais bon nombre de ces conflits étaient le produit de la rivalité Est-Ouest et la répartition géographique de laide montre dailleurs toujours que les considérations stratégiques nen sont pas absentes. Ainsi Israël et lÉgypte sont-ils les principaux bénéficiaires de laide américaine, comme avant eux le Sud-Vietnam et lInde. LU.R.S.S., de son côté, a apporté une aide massive au Vietnam, à lAfghanistan, à la Syrie et à Cuba, également pour des raisons stratégiques. Dans de nombreux cas, laide économique dont il est ici question se double dune aide militaire dont la mesure est délicate.
Laide des autres pays na pas été non plus dépourvue de considérations géopolitiques, mais elle a surtout été déterminée par lhistoire coloniale. Il est clair que la France et le Royaume-Uni ont fait porter lessentiel de leurs efforts vers les pays de leur ancien empire colonial. Les Pays-Bas ont gardé des liens privilégiés avec lIndonésie comme la Belgique est restée longtemps très présente au Zaïre, au Rwanda et au Burundi. Les liens historiques nés de la colonisation font que les partenaires se connaissent. Ces liens, renforcés par les intérêts économiques et éventuellement par une langue commune, sont très puissants et, dans le cas de la France, se sont imposés à tous les gouvernements, même lorsque la volonté délargir le champ traditionnel est apparue.
Au-delà des objectifs stratégiques et des liens historiques, laide
sert les intérêts économiques des pays fournisseurs. Plus précisément, ce sont
des intérêts commerciaux que laide est aussi censée servir. La pratique la plus courante est
dobliger le pays qui bénéficie dune aide à lutiliser pour acheter du matériel produit
par le pays donneur. Cette "aide liée" a nourri dinterminables débats. À lencontre
dune telle démarche, on peut invoquer le fait quelle limite le choix, quelle entraîne des surcoûts
dans la mesure où la concurrence est restreinte et, surtout, quelle conduit à des aides ne correspondant
pas aux besoins prioritaires des bénéficiaires mais plutôt au désir du donneur de soutenir
ses propres entreprises. En sens inverse, on avance largument, difficilement vérifiable, que cest le seul
moyen de faire accepter le poids de laide et que, si celle-ci nétait pas liée, son volume, déjà
modeste, diminuerait. Les efforts en faveur du déliement de laide ont donné peu de résultats
puisque laide était, à la fin des années 1980, déliée pour les deux tiers environ
contre 45 p. 100 en 1975. La situation demeurait cependant fort différente entre les pays
nordiques, où laide était presque totalement déliée, et le Japon, où elle ne
létait quà 36 p. 100. Enfin, il faut noter que depuis les drames de Somalie, de Yougoslavie, du
Rwanda, du Zaïre, cest à prévenir les conflits ou à construire la paix quune partie
de laide est employée. Les États de lex-Yougoslavie comptent ainsi parmi les principaux bénéficiaires
de laide européenne.
Le Comité daide au développement de lO.C.D.E. (C.A.D.) a grandement contribué à clarifier le concept de laide et à en permettre la mesure. Le C.A.D. est, au sein de lO.C.D.E., un club comprenant vingt-et-un pays membres de lorganisation et la Commission des communautés européennes. Ils se rassemblent afin déchanger des informations sur le développement, sur les politiques daides les plus appropriées et sur leur évolution. Chaque pays est examiné périodiquement par ses pairs, et il apparaît à lexpérience que cet examen est une incitation pressante à améliorer et maintenir laide de chaque pays. Chaque année, dans un rapport appelé "Coopération pour le développement", le président du C.A.D. tire la leçon des événements et des observations faites, et met en évidence les points sur lesquels devraient porter les efforts damélioration; une annexe statistique très détaillée permet de mesurer lévolution de laide en volume et en structure. On verra, dans la distinction queffectue le C.A.D. au sein des "Apports financiers aux pays en développement" entre laide publique au développement et les diverses autres formes de transferts, que celui-ci est plus guidé par la notion de gratuité de laide que par celle de son efficacité.
Laide économique est mise en uvre par les États et les organes multilatéraux. On parle alors daide publique au développement (A.P.D.). Les organisations non gouvernementales (O.N.G.) fournissent également une aide. Dans le cas des banques ou des entreprises, on parle de flux privés aux conditions du marché. Pour le C.A.D. ne sont considérés comme "aide publique au développement" que "les dons ou prêts accordés par le secteur public, dans le but essentiel daméliorer le développement économique et le niveau de vie, assortis dans le cas des prêts dau moins 25 p. 100 déléments de libéralité". Lélément de libéralité caractérise lécart entre un prêt obtenu aux conditions du marché et le prêt effectivement accordé. Lorsque le taux dintérêt est inférieur au taux du marché, sil existe un différé de remboursement et une durée de remboursement plus longue que normalement, on peut considérer que ces avantages correspondent à un don: on parle d"équivalent don" du prêt, et ce montant figure dans l"aide". "Outre les apports financiers, laide couvre la coopération technique. Celle-ci comprend les dons qui sont soit consentis à des ressortissants des pays en développement qui suivent un enseignement ou reçoivent une formation à létranger, soit destinés à financer le coût des enseignants, administrateurs, conseillers en poste dans des pays en développement."
En 1995, laide publique au développement (A.P.D.) représentait 24,7 p. 100 du total des apports financiers nets aux pays en développement par les pays membres du C.A.D., contre 51,2 p. 100 en 1987 (tabl. 1). Les apports publics non concessionnels comptaient pour 3,6 p. 100 du total et les crédits à lexportation pour 4.3 p. 100. Les apports privés, soit 67,4 p. 100 du total, incluent des investissements directs (23,7 p. 100), des prêts bancaires (29,6 p. 100), des investissements de portefeuille (7,6 p. 100) et des dons des organisations non gouvernementales (2,4 p. 100). Les apports privés, autres que ceux des O.N.G., fluctuent considérablement en fonction de la confiance quont les investisseurs dans la stabilité des pays receveurs, de leurs perspectives économiques et de lévolution des équilibres macro-économiques. La crise de la dette au début des années 1980 a entraîné un effondrement des prêts bancaires et si aujourdhui les investissements directs et les prêts saccroissent rapidement, ils se concentrent, notamment pour les premiers, dans un nombre limité de pays. Il serait donc souhaitable que laide publique aille aux pays qui nattirent pas les capitaux privés, mais ce nest que partiellement le cas. En 1995, seulement 52 p. 100 de laide des pays du C.A.D. allait aux pays les moins avancés et aux pays à bas revenus (revenu par habitant inférieur à 675 dollars en 1992).
La distinction entre aide publique au développement et les autres apports nest pas sans importance dans le débat international. Lors de la deuxième réunion de la C.N.U.C.E.D. (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement), les pays industrialisés ont accepté comme objectif que laide publique au développement atteigne 0,7 p. 100 de leur P.N.B. Cet engagement remonte à 1965, et il nétait atteint en 1995 que par un nombre restreint de pays: le Danemark, les Pays-Bas, la Norvègeet la Suède. En 1981, un objectif annexe fut adopté à la Conférence de Paris sur les pays les moins avancés, fixant à 0,15 p. 100 du P.N.B. des pays industrialisés laide qui devrait leur être accordée. En 1990, le principe dun effort particulier pour les pays les moins avancés (P.M.A.) a été confirmé, mais lengagement de leur consacrer 15 p. 100 de laide na été accepté que par une partie des donneurs. Se trouvait ainsi marquée la reconnaissance de deux faits: lextrême diversité des situations des pays en développement, qui ne permet plus à leur égard une politique homogène, la situation dramatique des pays les moins avancés, qui sest détériorée à partir de la fin des années 1970 avec lapparition de famines chroniques.
En décidant un effort particulier en faveur des plus démunis,
la communauté internationale répondait à un besoin. Mais, dès 1982, un autre besoin,
tout aussi urgent, apparaissait, celui dapporter des capitaux aux pays les plus endettés, dAmérique
latine notamment, pour que leur développement à terme ne soit pas gravement compromis par les politiques
dajustement auxquelles les contraignaient la situation internationale et certaines erreurs commises dans leurs
stratégies dinvestissements. Laide publique ne pouvait suffire. Les financiers privés, après
avoir prêté, souvent en se contentant de la garantie des États, sont devenus extrêmement
prudents et ne sont plus disposés à prêter à des pays connaissant de graves déséquilibres
macro-économiques. Ce fut le rôle du Club de Paris et du Club de Londres dorganiser pour chaque pays
les aménagements (annulations ou rééchelonnement) de la dette auprès des créanciers
publics pour le premier et des créanciers privés pour le second. Les remises ou aménagements
de dette consentis par les États sont inclus dans leur aide publique pour environ 3 milliards de dollars par an depuis le début des années 1990. Le F.M.I.,
pour sa part, a négocié avec chaque pays les mesures propres à restaurer les équilibres
et à redonner confiance aux banques et organismes de crédit. Les politiques dajustement ont été
très dures pour les pays concernés et lAmérique latine considère les années
1980 comme une "décennie perdue pour le développement". Mais les pays latino-américains
ont de nouveau accès aux marchés des capitaux. LAfrique souffre encore de son endettement.
La coopération dÉtat à État, appelée coopération bilatérale, est de loin la plus importante. Lorganisation administrative chargée de la gestion et de lexécution de laide varie sensiblement dun pays à lautre sans que lon puisse assurer que lune est plus efficace que lautre. En France se superposent un découpage géographique pays dAfrique subsaharienne francophone et lusophone (ministère de la Coopération et du Développement), autres pays en développement (ministère des Affaires étrangères, départements et territoires doutre-mer (ministère des D.O.M.-T.O.M.) et un découpage fonctionnel, les services de la coopération gérant la coopération technique et le fonds daide et de coopération, tandis que la Direction du Trésor gère un certain nombre de prêts et que la Caisse centrale de coopération économique étudie et met en uvre des projets financés sur prêts bonifiés ou non. Laide bilatérale a souvent été critiquée comme moins désintéressée que laide multilatérale et comme mêlant inévitablement les intérêts du pays donneur à ceux du pays receveur. On souligne que cest elle qui a le plus souvent financé des projets politiques éloignés des besoins prioritaires du développement ou qui est à lorigine de projets somptuaires. Il est sans doute vrai que laide bilatérale a à son passif plus de ponts sans route daccès, dhôpitaux sans médecins ou sans médicaments, de centres de formation technique sans professeurs que laide multilatérale, mais elle a pour elle la rapidité, la souplesse et aussi la capacité de mettre en uvre de petites opérations qui sont autant de graines pour le changement.
Les organisations multilatérales tirent leurs ressources des versements des États et, pour certaines, des emprunts quelles émettent sur les marchés financiers. Leur action est guidée par les votes des États membres et les faiblesses dont on les accuse ne sont bien souvent que le reflet des désaccords entre ces États et de leur incapacité à faire des choix. LOrganisation des Nations unies a été mise en place après la guerre avec pour mission de maintenir la paix. Son échec, dès le conflit coréen, a montré les limites de son efficacité lorsque les intérêts des deux grandes puissances étaient en jeu. Lirrésistible mouvement vers les indépendances lui a donné une nouvelle vocation: faciliter laccession des peuples à lindépendance et soutenir le développement des jeunes nations encore sous-développées. Selon la philosophie de lépoque, uvrer pour le développement était en même temps uvrer pour la paix. LAssemblée générale des Nations unies a proclamé en 1961 que les années soixante seraient la décennie du développement; en 1965, on a jugé sage de rebaptiser ces années la première décennie du développement; cette programmation décennale na jamais cessé depuis lors. Comme beaucoup au début des années 1960, les Nations unies sétaient trompées sur limportance du facteur temps dans le développement. Laide, qui ne devait être quun effort vigoureux et de durée limitée comme le fut le plan Marshall pour lEurope, restera longtemps un complément nécessaire aux efforts nationaux.
Les Nations unies regroupent un ensemble dentités relevant de lAssemblée générale qui adopte leur budget, de fonds qui ont chacun leur organe de direction et dagences spécialisées qui ont des budgets et des organes de direction autonomes. Parmi les entités, il convient de mentionner la C.N.U.C.E.D. pour le commerce, le Haut-Commissariat pour les droits de lhomme, le Haut-Commissariat pour les réfugiés, les commissions régionales. Parmi les fonds, il faut mentionner le Programme des Nations unies pour le développement (P.N.U.D.), qui finance des activités de développement quil met en uvre directement ou par lintermédiaire des entités ou agences spécialisées, lU.N.I.C.E.F. pour lenfance, le F.N.U.A.P. pour la population. Parmi les agences spécialisées, on retiendra lU.N.E.S.C.O. pour léducation, lO.M.S. pour la santé, lO.I.T. pour les relations État-entreprises-syndicats et le droit du travail, lO.M.M. pour la météorologie, lU.I.T. pour les télécommunications, la F.A.O. pour lagriculture et lO.N.U.D.I. pour lindustrie. Chacune de ces agences ou entités fait des études, définit des principes, des normes et des politiques dans son domaine de compétence. Elles fournissent une assistance technique aux États pour lélaboration de projets qui seront financés par le P.N.U.D. (Programme des Nations unies pour le développement) et par des États qui acceptent quune part de leur aide transite par des organisations multilatérales. Les autres institutions dans la mouvance des Nations unies comprennent également la B.I.R.D. (Banque internationale pour la reconstruction et le développement), appelée Banque mondiale, et le F.M.I. (Fonds monétaire international). La Banque mondiale finance des projets ou des programmes de développement soit directement, soit par lintermédiaire de ses filiales, la S.F.I. (Société financière internationale), qui sattache aux projets industriels, ou lA.I.D. (Agence internationale pour le développement), qui accorde des prêts à très bas taux dintérêt avec un long différé de remboursement. La Banque mondiale sest acquis une grande réputation pour le sérieux avec lequel elle étudie les projets, pour sa connaissance de la situation des pays et pour la somme des informations quelle accumule sur le développement. Il lui est cependant reproché de prêter plus dattention à sa propre conception de ce qui est bon pour un pays quaux objectifs du gouvernement de ce pays, de se référer trop exclusivement aux indications du marché et de naccepter que très difficilement de faire intervenir des considérations de long terme ou des considérations sociales dans la décision de réaliser un projet. Derrière ces critiques se trouve le fait quà la Banque mondiale les droits de vote sont proportionnels aux parts de capital détenues par les pays membres, ce qui assure la majorité aux pays de lO.C.D.E. et un grand poids aux États-Unis. Depuis 1979, la Banque mondiale publie annuellement un "Rapport sur le développement dans le monde" qui rassemble de précieuses statistiques comparatives sur léconomie des pays et qui analyse tour à tour les grands problèmes du développement.
Le Fonds monétaire international nest pas un organisme de développement. Il a été chargé à lorigine dassurer la régulation du système monétaire international, accordant des prêts aux pays dont la balance des paiements était en déficit et, au-delà dun certain seuil, imposant au pays emprunteur des politiques de redressement. Mais, depuis labandon du système de Bretton Woods et la hausse du prix du pétrole, le F.M.I. est intervenu à de nombreuses reprises pour aider les pays à surmonter les déséquilibres dans leur balance des paiements. Il a ainsi créé des facilités pétrolières, des facilités alimentaires, et des aides à la balance des paiements. Une aide est ainsi accordée lorsquun pays peut apporter la preuve que ses difficultés en matière de balance des paiements sont dues à la baisse des prix des matières premières quil exporte. À partir de 1973, les banques privées avaient accordé des paiements sans que le F.M.I. exerçât de contrôle; il en est résulté un endettement considérable, devenu insupportable pour certains pays en raison de la hausse des taux dintérêt qui en augmentait le coût et du ralentissement de lactivité économique mondiale qui limitait les possibilités dexportations. Le F.M.I. subordonne loctroi de ses prêts à des mesures dassainissement des économies endettées telles que la réduction des dépenses publiques, la vérité des prix, le freinage ou la réduction des salaires, le resserrement du crédit, de manière à réduire les importations et à ralentir linflation. Ces mesures améliorent la balance commerciale, mais souvent au prix dune grave récession.
Prenant de plus en plus conscience des difficultés dajustement et des délais nécessaires, le F.M.I. a quelque peu infléchi ses habitudes, accordant des prêts à relativement long terme, alors quauparavant ils étaient à court terme, et en développant des programmes dajustement structurels en relation avec la Banque mondiale. Cela dit, la médecine du Fonds reste sévère, et les pays sont dautant plus obligés de sy soumettre que lintervention du F.M.I. est une garantie que les banques exigent pour consentir de nouveaux prêts.
Ainsi, la frontière entre la gestion du système monétaire et financier et laide économique au développement est aujourdhui moins nette quelle ne le fut.
Aux côtés des organisations multilatérales ayant vocation à accueillir tous les pays même si certains ne se sont pas encore décidés à être membres de tous les organismes de la famille des Nations unies , il existe des organisations à caractère régional. Construites sur le modèle de la Banque mondiale, des banques régionales de développement fonctionnent en Amérique latine (Banque interaméricaine pour le développement), en Asie (Banque asiatique de développement) et en Afrique (Banque africaine de développement).
De son côté, la Communauté économique européenne mène à son niveau, parallèlement à chacun des États membres, une politique de coopération au développement. Une de ses particularités vient de ce quelle revêt différentes modalités selon les pays auxquels elle est destinée: pays associés dAfrique, des Caraïbes et du Pacifique (pays A.C.P.), pays du Maghreb et du Machrek, pays de lAssociation des nations du Sud-Est asiatique (A.N.S.E.A.), accords individuels avec lInde et certains pays de lAmérique latine... Mais son originalité tient au type daccord quelle a passé avec les pays A.C.P. Dune part, ces accords sont négociés entre deux ensembles, la Communauté et les A.C.P., ce qui réduit les pressions que peut exercer un État puissant sur un pays faible et oblige, au sein de chaque ensemble, à harmoniser des intérêts contradictoires. Dautre part, ils englobent divers aspects des relations économiques Nord-Sud. Laide financière y trouve sa place, associée à un accord commercial, à un système de garantie de ressources pour des exportations de produits primaires agricoles, le Stabex, et à un système de garantie du potentiel minier, le Sysmin. Les conventions de Lomé, qui placent laide dans un ensemble intégré, sont dans leur principe exemplaires. Les difficultés quelles connaissent tiennent dabord à linsuffisance des ressources mises en jeu dans le Stabex et aux exceptions faites aux accords commerciaux. Au cours de leurs renégociations successives, des débats de principe se développèrent: en 1979, les pays de la C.E.E. voulaient inclure une clause concernant les droits de lhomme que les pays A.C.P. ont tout dabord refusée; en 1984, la C.E.E. eut le souci que son aide serve effectivement au développement et chercha une procédure de négociation politique avec chaque État pour la définition des projets, etc.
Les organisations non gouvernementales (O.N.G.) collectent des fonds qui sont comptabilisés dans les statistiques du C.A.D. sous la rubrique "dons des organismes privés" et reçoivent des États des subventions pour exécuter des projets que les organismes officiels ne pourraient réaliser de façon satisfaisante. Les O.N.G. excellent dans des projets dits "au ras du sol": animation villageoise, constructions de puits, mise en place de systèmes de santé rurale, petits travaux dirrigation, amélioration de lhabitat, etc. Les O.N.G. contribuent également de plus en plus au développement de petites entreprises et se signalent dans lattribution de microcrédits en aidant les plus défavorisés à avoir accès aux moyens de production (terre, équipement, crédit, technologies). En outre, elles peuvent avoir des contacts avec des organisations non gouvernementales des pays partenaires: communes, associations, syndicats, ce que les gouvernements ne peuvent faire, limités quils sont aux relations dÉtat à État. Les O.N.G. mettent ainsi en uvre une part substantielle de laide publique en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suède. Certaines des plus importantes sont liées aux Églises comme Adveniat ou Misereor en Allemagne, le C.C.F.D. (Comité catholique contre la faim et pour le développement) en France, lOxfam au Royaume-Uni. À côté de leur action sur le terrain, les O.N.G. sont de précieux animateurs de lopinion publique, quelles contribuent à sensibiliser aux divers aspects du développement et à la situation des populations les plus démunies dans le monde. Par des campagnes, des conférences, des semaines daction, elles arrivent à toucher les milieux les plus divers. Leur efficacité vient ici de leur diversité; chacune a son langage, ses modes daction, son public; mais cette diversité est au service dune même cause, le développement. Cela ne va pas, bien sûr, sans contradictions ni conflits, mais, depuis plusieurs années, les O.N.G. se sont organisées sur le plan national et sur le plan international pour accroître leur impact. On a pu remarquer leur rôle lors des grandes conférences sur lenvironnement, la population, les femmes, la pauvreté et lhabitat qui se sont succédé dans les années 1990. Elles ont fait des propositions parfois reprises par les gouvernements et constituent un groupe de pression pour assurer que les décisions prises soient effectivement mises en uvre.
Les entreprises et les banques sont également des acteurs de laide économique.
Certes, elles ne font pas de dons et agissent en fonction de leurs objectifs de recherche du profit. Cependant,
elles sont des instruments indispensables de la coopération au développement, car ce sont elles qui
détiennent les technologies, le savoir-faire et lhabitude de la gestion ainsi que les moyens financiers
capables de répondre aux besoins du développement. Les organisations internationales facilitent le
dialogue entre entreprises et banques, dune part, et pays en développement, dautre part. La Banque mondiale
et nombre de pays ont mis en place des systèmes de garantie des investissements. Dans les années
1970, alors que lÉtat était producteur par lintermédiaire des entreprises publiques, le
débat portait aussi sur lacquisition déquipements productifs: achats déquipements, voire
dusines clés en main, produit en main, ou même marché en main. Aujourdhui il est admis que
les entreprises étrangères doivent trouver un environnement favorable, cest-à-dire, des institutions
et des règles stables, des lois strictement appliquées sans arbitraire, des conditions macro-économiques
saines. Elles demandent aussi à pouvoir transférer librement leurs bénéfices et importer
les équipements ou les intrants dont elles ont besoin. Par ailleurs, elles réclament souvent une
certaine protection de leurs produits sur le marché intérieur, ce qui nest pas propice au bon fonctionnement
du marché. De leur côté, les pays hôtes souhaitent quelles apportent croissance, emploi,
recettes dexportation et surtout savoir-faire technologique. Les modalités du transfert des technologies
ont fait lobjet de nombreux débats, mais la tentative de faire accepter un code de conduite sur le transfert
de technologie a échoué en 1986, après plus de dix ans de négociations. La négociation
a buté, certes, sur le choix des tribunaux compétents pour arbitrer les éventuels conflits,
mais aussi parce que au tournant des années 1980, le point de vue américain a changé: après
avoir vu dans la concurrence un stimulant de la recherche technologique, ce sont les bénéfices tirés
de cette recherche qui ont été jugés les plus stimulants. Les transferts, souhaitables dans
le premier cas, ne le sont plus dans le second. Un autre débat, lui non plus jamais conclu, sest longtemps
poursuivi sur les technologies les plus propices au développement. En fait, les bons choix technologiques
et lorganisation de la production sont fonction des priorités relatives données aux objectifs de
production, aux marchés visés, à lemploi, aux coûts relatifs du capital et du travail.
Évolution de laide économique
Les statistiques du Comité daide au développement offrent une information très détaillée sur laide des pays membres; elles sont moins fouillées pour les autres donneurs que sont lO.P.E.P. et les pays de lEst, du temps où ceux-ci fournissaient une aide significative. Cest pourquoi on limitera lanalyse de lévolution de laide par poste aux seuls pays du C.A.D., mais il convient auparavant de présenter les apports de chacun (tabl. 2) et la liste des grands bénéficiaires. De 1970 à 1990, laide publique des pays du C.A.D. a oscillé modérément autour de 0,35 p. 100 de leur produit national brut, pour décliner ensuite jusquà 0,27 p. 100 en 1995. Cette relative stabilité contraste avec lévolution des apports de lO.P.E.P. déjà élevés en 1970, ils ont atteint leur maximum en 1976 (près de 6 p. 100 du P.N.B.) et diminué ensuite pour se stabiliser vers 1,5 p. 100 du P.N.B. , et avec laide des pays de lex-bloc de lEst qui a fortement progressé pour lU.R.S.S. de 1970 à 1987 et stagné pour les autres pays est-européens après 1982. Après 1990, les flux en provenance des pays de lEst européen et de lO.P.E.P. se sont pratiquement taris, tandis quapparaissaient de nouveaux contributeurs autrefois bénéficiaires daide comme la Corée du Sud et Taiwan..
On a relevé à plusieurs reprises limportance, pour les pays en développement, des apports financiers consentis aux conditions du marché, apports qui ont augmenté rapidement à partir de 1975 alors que laide publique restait sensiblement stationnaire par rapport au P.N.B. des pays donneurs. Les investissements directs, qui sétaient réduits après 1970 et effondrés en 1974 lors du premier choc pétrolier du fait des craintes des investisseurs, ont vigoureusement repris en 1975, puis ont à nouveau fléchi brusquement après le deuxième choc pétrolier. Les prêts du secteur bancaire se sont accrus fortement dès 1972; ils se sont tassés en 1975, puis ont repris jusquen 1979, date à partir de laquelle ils ont progressé plus lentement, puis se sont effondrés après 1982 et ont même été négatifs certaines années. Les crédits à lexportation, qui avaient fléchi de 1970 à 1973, ont repris en 1975. À partir de 1982, cependant, les incertitudes sur la solvabilité dun certain nombre de pays freinent les opérations de crédit, et le poids de laide publique dans les recettes des pays en développement remonte. Cette tendance sest inversée à nouveau à partir de 1989 et, depuis 1992, les apports privés sont supérieurs aux apports publics. Les chiffres du tableau 1 montrent lévolution des flux publics et privés dont ont bénéficié les pays en développement. Ils soulignent la volatilité des crédits commerciaux et des flux privés, notamment celle des investissement de portefeuille. On rappellera aussi que les flux privés se concentrent sur un nombre limité, bien que croissant, de pays.
Si lon sattache à la répartition par destinaire de lensemble de ces apports, on constate fort heureusement que ce sont les pays à faibles ou moyens revenus qui bénéficient de la plus grande part des dons, et que les flux financiers et les investissements directs se dirigent principalement vers les pays à moyens revenus ou les nouveaux pays industrialisés.
Cette répartition est à première vue globalement satisfaisante, mais, en fait, à lintérieur dune même catégorie, laide est inégalement répartie et on retrouve là la trace des objectifs politiques et stratégiques qui la déterminent pour partie. On constatera dans le tableau 3 les marques des rapports Est-Ouest, les attaches coloniales, mais aussi les décisions politiques ou le souci de privilégier les plus pauvres. Le rapprochement de laide reçue par tête et du P.N.B. par tête illustre bien que beaucoup devrait encore être fait pour que la répartition de laide soit inversement proportionnelle à la richesse.
La coopération technique voit son poids diminuer. Ce résultat est le fruit de deux mouvements opposés: laugmentation du nombre des boursiers et la diminution des effectifs de lassistance technique. Celle-ci est particulièrement marquée pour les principaux pourvoyeurs dassistants techniques, la France et le Royaume-Uni, dont les effectifs entre 1970 et 1987 ont diminué de plus de moitié. Cette évolution indique que les pays prennent en charge la gestion de leur développement et que les techniciens nationaux remplacent progressivement les experts étrangers.
La répartition de laide par secteur (tabl. 4) montre que celle-ci sest adaptée aux besoins. Laide à léducation reste stable et a contribué à deux succès significatifs: malgré laugmentation du nombre des enfants dans la tranche dâge des 6-11 ans, le nombre de ceux qui ne sont pas scolarisés diminue et le pourcentage des illettrés dans la population adulte a chuté dans un grand nombre de pays. Cependant, beaucoup reste à faire: 130 millions denfants ne vont pas à lécole; lécart entre la scolarisation des garçons et celle des filles reste important; enfin, la qualité de léducation laisse souvent à désirer faute dune reconnaissance morale et matérielle du statut denseignant. Cela justifie de donner la priorité à laide à léducation primaire. Laide à la santé, comme laide à léducation, est relativement stable et, là encore, des progrès significatifs ont été enregistrés dans la lutte contre les grandes endémies grâce à des campagnes de vaccination stimulées par lU.N.I.C.E.F. et lO.M.S.. Mais les menaces demeurent avec la résistance des nouvelles formes de paludisme aux médicaments, la reprise de la lèpre et, bien sûr, le sida et le virus Ebola. Le grand objectif de la santé pour tous commande que la priorité soit donnée à laction préventive et aux soins de santé primaire. Laide souvent attirée par les investissements spectaculaires (C.H.U., hôpitaux) soriente dans ce sens.
Le déclin de laide à lagriculture témoigne des succès quelle a contribué à remporter, non seulement en finançant des systèmes dirrigation là où cela était possible, mais aussi par de multiples actions danimation rurale et, surtout, par la recherche et la dissémination des nouvelles semences. La recherche a depuis longtemps permis daccroître très fortement les rendements des cultures dexportation et de les acclimater dans de nouveaux pays. Les recherches sur le blé ont abouti à la mise au point de variétés résistantes à haut rendement qui ont fait passer lInde de la dépendance alimentaire à une relative autonomie. Des progrès doivent encore être accomplis pour les plantes alimentaires tropicales ou sahéliennes, avec un accent mis sur les cultures sèches qui, malgré les progrès de lirrigation, représentent encore 80 p. 100 des terres cultivables. Préalable à lintroduction de ces facteurs de progrès, la formation des populations concernées est lopération la plus délicate, celle où laide a connu ses plus graves échecs. Celle-ci a en effet négligé trop souvent les facteurs sociologiques et la rationalité économique du paysan. Les traditions qui régissent la répartition du travail entre hommes et femmes ou qui garantissent la sécurité alimentaire par une certaine alternance ou un mélange des cultures ne peuvent être balayées pour reproduire telle quelle lorganisation des cultures de lEurope ou des États-Unis. Dun autre côté, rien ne forcera un paysan à acheter des engrais, à mécaniser son exploitation, à effectuer des travaux dirrigation ou à soigner de nouvelles variétés, sil nen tire pas finalement un avantage appréciable. Les prix jouent ici un rôle décisif. Bien souvent, les gouvernements, soucieux de préserver le pouvoir dachat des habitants des villes tout en évitant les hausses de salaire qui nuiraient à la compétitivité des entreprises, maintiennent des prix bas à la production et sapprovisionnent sur le marché mondial.
Depuis 1994, laccord de Marrakech, qui concluait un long cycle de négociations au G.A.T.T. (Uruguay Round) et voyait la naissance de lOrganisation mondiale du commerce (O.M.C.), prévoit une réduction progressive des subventions aux exportations agricoles dont on attend quelle provoque une hausse des prix des produits alimentaires sur les marchés mondiaux. Laide alimentaire a fait lobjet de controverses passionnées dans la mesure où elle est apparue comme une facilité nincitant pas les pays à développer suffisamment leur production agricole. Le fait est que les États-Unis et la C.E.E. disposent dexcédents agricoles leur faisant trouver dans laide alimentaire un moyen de se débarrasser de stocks coûteux. Personne ne conteste cependant la nécessité de laide alimentaire durgence en cas de famine; pour éviter que les drames de 1973-1974 ne se reproduisent, une réserve alimentaire internationale durgence de 500 000 tonnes a été mise en place dès 1976. Mais, au-delà des périodes de crise, des insuffisances alimentaires chroniques existent dans un certain nombre de pays qui nont pas les moyens de se fournir sur les marchés mondiaux. Ils ont donc régulièrement recours à laide alimentaire. Ces stocks pour mesures durgence, ajoutés aux mécanismes daide financière aux importations alimentaires du F.M.I., sont de nature à mieux garantir la sécurité alimentaire. Mais il est clair aujourdhui que celle-ci repose dabord sur un accroissement de la production et sur lamélioration du stockage des récoltes.
La Conférence de Rio de Janeiro sur le développement durable a fait entrer lenvironnement dans les objectifs des donneurs daide. Le concept de développement durable a été façonné pour montrer que développement et protection de lenvironnement non seulement nétaient pas incompatibles mais, à terme, ne pouvaient qualler de pair. Cette approche est maintenant partagée par tous, mais elle na encore trouvé que peu dapplications concrètes. Programmes et projets demeurent sectoriels, quil sagisse dagriculture, dinfrastructure de transport ou même denvironnement. Sassurer de limpact des projets sur lenvironnement est nécessaire mais il faudrait intégrer lenvironnement dans les coûts et les prix pour que la recherche de la rentabilité entraîne en même temps le choix de techniques et dorganisation favorables à lenvironnement.
Peu après la chute du Mur de Berlin, il est apparu que le passage dun système de planification centralisée à un système de marché nécessitait un effort dajustement et de restructuration considérable et que des apports en capitaux et uneassistance technique seraient nécessaires. Une institution a été créée, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (B.E.R.D.), et un mécanisme de coordination des aides bilatérales, le Groupe des 24, mis en place. La Banque mondiale, le F.M.I. et les agences des Nations unies ont étendu leurs activités de financement et de conseil aux pays en transition. Lidée quune thérapie de choc permettrait un passage rapide dun système de gestion de léconomie à un autre sest révélée fausse en ce sens que créer tout un nouvel ensemble dinstitutions prend du temps et quil faut plus de temps encore pour que celles-ci fonctionnent efficacement. La proposition dun "plan Marshall" na pas pris corps; au contraire, les prêts du F.M.I., extrêmement utiles pour rétablir les équilibres macro-économiques, ont toujours été conditionnés par ladoption de politiques rigoureuses négociées avec le Fonds. Après six ans, les progrès sont inégaux, mais la libéralisation des prix et des échanges, la liberté dentreprendre sont globalement assurées. Linflation est ramenée à des niveaux gérables, les monnaies sont stabilisées. Cependant, les restructurations de lappareil productif sont encore loin dêtre achevées et les institutions financières, dont les banques, encore trop peu développées pour répondre de façon saine aux besoins des investisseurs. Les pays en développement ont craint, en 1990-1991, que laide à la transition se fasse à leur détriment. Arithmétiquement cela peut sembler être le cas puisque laide à la transition sest fixée à environ 0,04 p. 100 du P.N.B. des pays du C.A.D., tandis que laide au développement chutait à 0,06 p. 100 du P.N.B. entre 1990 et 1995.
Le plan Marshall a été lexemple de laide réussie qui a permis à lEurope des alliés et des vaincus de se redresser en quelques années après la Seconde Guerre mondiale. Cest pourquoi il a été proposé à diverses époques un plan Marshall pour lAfrique, pour lAmérique latine, plus récemment pour les pays en transition. Cétait oublier deux éléments qui ont fait le succès du plan de 1947. Une aide massive tout dabord: plus de 2 p. 100 du P.N.B. des États-Unis, alors que laide du C.A.D. na jamais atteint lobjectif de 0,7 p. 100 du P.N.B. adopté lors de la deuxième session de la C.N.U.C.E.D. et sen éloigne même. La gestion concertée de cette aide entre les pays bénéficiaires et les États-Unis, en second lieu: à lexception des Conventions de Lomé qui prévoient une certaine concertation entre pays de lUnion européenne et pays A.C.P., et des Nations unies, dont laide sinscrit dans des programmes discutés avec chaque pays, laide est en général octroyée et les donneurs suggèrent tout autant les demandes quils y répondent. À la différence de lEurope daprès guerre qui ne manquait pas de cadres qualifiés et dont les institutions fonctionnaient, les pays en développement disposaient de peu de cadres et navaient pas dinstitutions adaptées; quant aux pays en transition, sils disposaient de cadres, ceux-ci navaient aucune connaissance des mécanismes et de la pratique dune économie de marché et les institutions étaient à mettre en place.
Laide au développement ne pouvait donc avoir le succès du plan
Marshall. Elle a connu réussites et échecs dont les responsabilités sont tout autant internes
quexternes. Son objectif, créer les conditions propres au développement de chaque pays est plus
important aujourdhui quil ne la jamais été, du fait des interdépendances croissantes des
économies dans une perspective de mondialisation, du fait aussi que les solutions à nombre de problèmes
denvironnement et de santé ne peuvent quêtre mondiales. Ses modalités ont évolué
et lon ne peut que se réjouir des progrès accomplis grâce à une meilleure connaissance
des mécanismes du développement. Les apports financiers demeurent nécessaires mais, selon
les cas, ils peuvent relever de laide publique, surtout pour les plus défavorisés, ou de lactivité
normale des entreprises et des banques. Tout aussi importantes sont les actions qui permettent à toutes
les capacités de se mobiliser: éducation, institutions, décentralisation, démocratie,
solidarité nationale. Le bon équilibre entre mise en place dinfrastructures, déquipements
et dinstitutions dépend de chaque pays, et cest pourquoi laide, pour être efficace, devra donner
plus de place au dialogue entre États donneurs et États receveurs, entre O.N.G. extérieures
et nationales, entre entreprises étrangères et nationales.
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