La pêche au poulpe à Mbour: bilan de la campagne 1995
Jean Le Fur (IRD) et Ibrahima Camara (CRODT-ISRA)
Thiof News, points de vue, OEPS, juin 1999
Mots-clés : poulpe / exploitation / M'bour / Sénégal / approche globale.
En 1986 au Sénégal, des prises exceptionnelles de poulpe ont été réalisées par les navires de pêche tant industrielle qu'artisanale (Caverivière, 1988). Cette espèce bénéficiant d'un marché à l'exportation porteur a très rapidement fait l'objet d'une demande appuyée de la part des usines de la place conduisant au développement et au maintien de cette exploitation au cours des années suivantes (voir figure 1)
En quelques années, l'exploitation du poulpe à M'bour a atteint près de 80% de l'exploitation totale pendant la saison (de mai à septembre). Cette pêche s'est de même étalée dans le temps, certains pêcheurs la pratiquant désormais toute l'année.
En ce qui concerne la structure des prises, des mesures biométriques sur les diverses espèces pêchées sont effectuées en continu lors de l'arrivée des pirogues. Par exemple, durant la saison de pêche de 1990, 1133 individus débarqués à M'bour ont été pesés à l'aide d'un peson à plateau. Les fréquences de poids obtenues ont été reportées sur la figure 3.
La distribution des fréquences fait apparaître une population exploitée
très concentrée sur les classes inférieures, témoignant que la biomasse est surtout
disponible pour les jeunes classes d'âge. Ceci est peu étonnant dans la mesure où les poulpes
ont une durée de vie courte (les femelles meurent après la ponte).
La structure très régulière de la courbe de fréquence indique
que la sélectivité des engins ne se limite pas à une classe d'âge particulière
mais suit l'ensemble de la population.
A M'bour, les débarquements se produisent en milieu d'après-midi.
Des intermédiaires appelés "Këd Kat" sont chargés d'un premier marchandage
des produits à l'intérieur des embarcations. La quantité vendue est estimée "à
l'il". Ces intermédiaires achètent les produits en vrac et tirent leur bénéfice
des surplus dégagés au moment des pesées sur la bascule pour le compte des mareyeurs qui les
ont préalablement financés. Les poulpes sont récupérés dans des paniers calibrés
par des porteurs qui les transportent en haut de la plage, vers les balances où la production est pesée
devant les mareyeurs. Les industriels n'étant pas autorisés à effectuer des transactions directes,
ils passent par des mareyeurs intermédiaires accrédités pour cela. Ces mareyeurs peuvent fournir
plusieurs convoyeurs et faire ainsi jouer l'offre. Le poulpe est alors transbordé dans des véhicules
frigorifiques qui partent ensuite pour Dakar ou Djiffère.
Les petits mareyeurs sont actifs durant la première phase de l'exploitation; acquérant la moitié de la production débarquée. Les grosses sociétés restent ensuite seules sur la place (suite à une compétition ?). Après la rupture de l'exploitation les 5 et 6 août (lors de laquelle seule Africamer acquière l'ensemble de la faible production disponible), le nombre d'acquéreurs diminue, s'ajustant ainsi à la faible quantité de poulpe alors débarquée.
Pour rendre compte de l'impact économique de cette exploitation, nous avons
tenté de reconstituer, lorsque cela était possible, les comptes individuels des divers métiers
représentés. Nous avons cherché en outre à évaluer les comptes globaux de l'exploitation
du poulpe à M'bour.
Tableau : Récapitulatif de la distribution des comptes
sur l'ensemble de la période (en MF Cfa)
dépenses glace |
9,98 |
dépenses essence |
47,84 |
dépenses quincaillerie, nourriture |
7,97 |
gains exploitants |
302,75 |
gains essenceries |
2,11 |
SOUS-TOTAL (valeur des débarquements) |
370,65 |
gains mareyeurs |
6,17 |
gains manuvres |
2,08 |
gains pointeurs |
0,63 |
TOTAL (apport des usines) |
379,53 |
La distribution des parts entre les différents métiers et les frais d'exploitation
semble laisser une part prépondérante aux exploitants (mais il faut rappeler que l'on n'a pu prendre
en compte les dépenses effectuées en début de campagne ni les coûts d'amortissement).
18% de l'apport en devises est destiné aux frais d'exploitation, 80% à l'exploitation et les quelques
pour-cent restant à l'activité de commercialisation. Pour donner un autre aperçu, nous avons
tenté d'estimer les gains individuels pour chaque corps de métier. Les gains ont été
divisés par le nombre de personnes concernées (11 essenceries, 17 mareyeurs, 84 manuvres, 8 pointeurs)
et les 31 jours de l'enquête. Pour ce qui concerne les exploitants nous avons du procéder à
une nouvelle approximation: Le nombre d'unités concernées a été établi en faisant
la moyenne de sortie par jour de mer. Pour tenir compte du fait que la tactique divers ne s'est pas uniquement
consacrée à la pêche au poulpe nous avons divisé l'effort correspondant par deux et,
pour rendre compte du fait qu'une sortie de pirogue glacière dure en moyenne deux jours nous avons multiplié
l'effort correspondant par deux. L'effort des tactiques lignes poulpes est inchangé.
A partir de cette valeur d'effort, nous avons considéré qu'une unité de pêche (tous
types confondus) représentait cinq personnes (y compris les parts destinées au matériel) et
le bénéfice par unité a ainsi été divisé par cette valeur.
Les résultats, bien qu'approximatifs, peuvent donner un ordre de grandeur des bénéfices quotidiens
retirés par chaque individu en fonction de son type de métier; ce qui est représenté
sur la figure 6.
Il semble que les plus grands bénéfices soient acquis par les mareyeurs. Cette situation peut être
liée au fixe qu'ils perçoivent par kilo de poulpe par rapport aux pêcheurs ou aux manuvres
dont les bénéfices sont plus directement liés aux aléas de la production. Il semble
que les gains croissent au fur et à mesure que le métier concerné est plus éloigné
de la production même, les pointeurs, essenceries et mareyeurs bénéficiant de meilleurs gains
que les pêcheurs et les manuvres. On note aussi que l'échelle semble globalement décroissante
au fur et à mesure que l'activité concernée demande moins d'investissements de départ
A partir des informations collectées, on peut reconstituer ce mois de pêche (du 17/07 au 17/08/95) au poulpe à M'bour de la façon suivante :
Il apparaît difficile de distinguer si les conditions météorologiques telles que la mauvaise
mer ou la pluie qui est tombée aux alentours des 4-5 août influent davantage sur la possibilité
de pêcher ou sur la disponibilité du poulpe. Il est en effet possible que lors du changement de climat,
les poulpes changent de comportement et ne soient plus accessibles de la même façon à la pêche.
On peut ainsi se demander jusqu'où la saison aurait pu s'étendre s'il n'y avait pas eu de problèmes
avec la météo. Cette perturbation en plein milieu de la saison a pu provoquer des changement de disponibilité
de l'espèce mais aussi des changements tactiques de la part des pêcheurs et des mareyeurs ; changements
tactiques qui une fois effectués se sont avérés irréversibles et n'ont pas permis de
reprendre l'activité où le beau temps l'avait laissé.
L'exploitation du poulpe à M'bour présente une grande diversité de situations parfois difficile à prendre en compte. Les journaliers par exemple ne sont pas tous rémunérés de la même façon; les modes de rémunération sont parfois informels et ne permettent pas de faire l'objet d'une quantification. De même, le nombre de métiers impliqués dans la filière est important avec des fonctionnements très différents d'un maillon à l'autre, du pêcheur à l'exportateur. Cette exploitation qui naît brusquement et se développe "tous azimuts" apparaît donc particulièrement difficile à suivre . En abordant les différentes composantes de l'exploitation, ce travail constitue un survol d'ensemble. Cette approche doit permettre de mieux sérier les indicateurs les plus utiles, les protocoles de suivi les plus adéquats pour rendre compte de ce secteur en prenant en compte sa diversité ainsi que les capacités d'adaptation que lui offre sa grande flexibilité. Il reste en outre à replacer cette activité dans un schéma plus général englobant l'activité industrielle et étendant l'étude de la filière aux usines d'exportation.
" Cheeeetetet! Les poulpes, c'est très difficile à faire sortir. Dépêche toi de donner les sous sinon tout tombe à l'eau ! " (dessin humoristique sur les relations pêcheurs - mareyeurs paru dans le cafard libéré, journal satirique sénégalais).
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3 Ainsi, les calculs ont parfois nécessité
des raccourcis "sévères"; ils doivent donc être considérés avec circonspection.