"Obstinate Nature" ou le principe de l’éternel retour

"La vie a toujours évolué dans une mer d'inconnus et a malgré tout prospéré". Holling (1978)


Les saumons reviennent d'une génération à l'autre sur les frayères originelles. Si l'on construit un barrage empêchant leur retour, ils périront en tentant vainement de les rejoindre, ignorant toute solution alternative comme par exemple migrer dans une rivière voisine. Une des conséquences est que les processus de recolonisation sont extrêmement lents. Par exemple, suite à des pollutions accidentelles, plusieurs décennies parfois plusieurs siècles sont nécessaires à une recolonisation de milieux qui ont été dévastés (Cury and Anneville 1997).

L'environnement physique est la plupart du temps répétitif d'une année sur l'autre même si des changements profonds se produisent parfois. La nature est adverse laissant peu de solutions viables et les mortalités au tout début de la vie sont décisives; il serait donc risqué, voire illusoire, de prospecter à chaque génération de nouveaux environnements reproductifs (optimaux). Un individu qui se reproduit (par conséquent qui a survécu) aurait intérêt à placer sa progéniture, non pas dans des conditions "optimales", mais dans l'environnement qui a assuré sa propre survie.

En soulignant le caractère incertain du changement (Holling, 1978), on peut se représenter la survie d'une espèce engagée contre un joueur indifférent et imprévisible : la nature (Gould, 1993). Si ce jeu évolutif peut-être formulé de la façon suivante: "que faire lorsque l'on ne sait pas ce qu'il adviendra ?"; une réponse possible est: "faire le plus souvent la même chose".

Un modèle individus-centré spatialisé peut aussi permettre d'évaluer la complémentarité des deux stratégies de reproduction ("obstinée" et "opportuniste") en dynamique des populations (Lepage and Cury 1996, 1997). Des facteurs tels que la structuration spatiale et la dynamique de l'environnement, la forme de la fonction de reproduction et la durée de la saison de ponte, sont considérés dans ces travaux. Diverses simulations sont présentées afin d'explorer et comprendre l'importance de ces facteurs sur le succès respectif des deux stratégies soumises à des environnements constants ou changeants. Les simulations montrent que la stratégie obstinée (caractérisée par une grande inertie) sélectionne principalement les conditions environnementales optimales sur le long terme, tandis que la stratégie opportuniste maintient la diversité du choix des sites et permet à l'individu d'explorer la variabilité environnementale. Les simulations indiquent qu’aucune des deux stratégies considérées isolément n'est viable. Ainsi lors de perturbations environnementales drastiques, seule une population qui combine les deux stratégies évite l'extinction. Il s'avère qu'un faible pourcentage d'opportunistes (à peu près 1%) couplé à une forte proportion d'obstinés (environ 99%) assure la viabilité du système dynamique.

Au niveau individuel, une telle stratégie de reproduction composée de beaucoup d'inertie et d'un " soupçon " d'innovation semble avoir fait ses preuves au cours de l'évolution. Le "mécanisme d'empreinte" procure quelque chance de succès dans un monde incertain, parfois éloigné de toute optimalité, en diversifiant et maintenant les solutions viables. Un tel mécanisme conservateur apparaît comme très structurant au niveau des populations qui composent les systèmes écologiques.